Dans Tais-toi et fume, épisode 3, Oneshot Media s’attaque au problème sous le problème. À ce qui nous empêche de concevoir la réduction des risques, non comme une simple option, mais bien comme la stratégie la plus pertinente et efficace pour lutter contre les dangers du tabagisme. On vous raconte.
Sorti fin février 2025 sur YouTube | 29min 50s | Reportage
De Rémi Duff et David Hanin
Une production Oneshot Media
Avec Clive Bates, John Dunne, Anne Borgne, Antoine Flahault, Philippe Coy, Philippe Grunberg, William Lowenstein
Précédemment dans Tais-toi et fume…
Dans les deux précédents épisodes, nous avions découvert ceci : lorsqu’une alternative à la cigarette, à la fois légale et réglementée, est majoritairement adoptée par la population, comme les sachets de nicotine en Suède, la prévalence tabagique s’effondre. Quelque soit le prix du paquet de tabac.
Grâce à l’éclairage des différents spécialistes d’Europe et d’outre-Manche interrogés, nous avons aussi eu la confirmation que, si la nicotine est une substance addictive, elle n’est en aucun cas responsable des maladies et des décès liés au tabagisme. C’est bien la combustion qui tue 75 000 personnes chaque année, dont 45 000 par cancer.
À travers le témoignage de ces professionnels de terrain comme des chercheurs mondiaux qui se sont emparés de ces questions, nous savons également que les arômes jouent un rôle primordial dans la réussite du sevrage tabagique par la vape. Et que le soi-disant effet passerelle, qui pousserait les jeunes vapoteurs vers l’addiction à la cigarette, n’a jamais été prouvé. Mais maintes fois réfuté.
Le problème, c’est que pour lutter efficacement contre le tabagisme dans le monde d’aujourd’hui, il ne suffit pas de le savoir. Ni d’avoir raison. En témoignent les nombreuses études scientifiques sérieuses passées sous silence et la désinformation toujours à l’œuvre.
C’est pourquoi, dans Tais-toi et fume 3, nous avons souhaité remonter plus loin encore, et creuser plus profondément, afin de tenter de comprendre les origines de cette obstination, qui place l’abstinence et la prohibition au cœur de chaque décision, balayant d’un revers de main une stratégie pourtant efficace en tout point : la réduction des risques.
Le principe de précaution
Pour comprendre une partie des réticences à l’œuvre lorsqu’il s’agit du vapotage ou des produits de réduction des risques du tabagisme en général, il faut remonter aux débuts des années 1990. Lorsqu’éclate le scandale de l’affaire du sang contaminé.
C’est à la suite de cette crise, qui durera plusieurs années, qu’est institué le principe de précaution, par la loi Barnier de 1995.
Inscrit dans la Constitution, le principe de précaution permet aux décideurs de prendre des mesures de protection lorsque les preuves scientifiques relatives à un danger pour l’environnement ou la santé humaine sont incertaines. Autrement dit, lorsqu’il y a absence de consensus scientifique sur un sujet. Comme c’est le cas pour le vapotage ou d’autres produits alternatifs à la nicotine en France.
Un principe nécessaire, mais qui a aussi ses limites, comme le pointe le professeur Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’Université de Genève (1).
« La notion de consensus scientifique est toujours sujette à une forme de débat démocratique. C’est-à-dire qu’en réalité, il y a peu d’éléments scientifiques – et on l’a très bien vu durant la pandémie – qui font consensus au sens d’unanimité »
– Pr Antoine Flahault, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
C’est là toute la complexité de la Science. Plus encore lorsqu’il s’agit d’une science aussi jeune que celle des addictions, comme l’explique le professeur William Lowenstein, l’un des pères de l’addictologie en France.
« Ce qu’il y a d’horrible en médecine ou en science, c’est que quand tu sais quelque chose, quand tu apprends quelque chose, forcément ça débouche sur une autre question derrière. Tu passes ton temps à ne pas savoir. Alors quand doit s’exercer le principe de précaution ? Est-ce que le principe de précaution c’est se dire : “On ne sait pas, il vaut mieux être prudent, on va attendre, attendre, attendre…” mais on est assez tranquille pour attendre. Ou est-ce que le principe de précaution c’est se dire : “Il faut quand même aller l’overdriver” parce que, quand même, chaque année, on a 75 000 personnes dont le décès est lié non pas au tabac, mais à la combustion du tabac »
– Pr William Lowenstein, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
Car, s’il y a bien une donnée qui fait consensus, c’est celle-ci : rien n’est plus dangereux que la combustion du tabac. Les produits du vapotage, les sachets de nicotine “pouches”, le snus, rien n’égalera jamais les dangers d’une cigarette fumée, rappelle notamment la docteure Anne Borgne, médecin et addictologue française.
« En termes de dangerosité, le tabac fumé, c’est 100 %, la vape, c’est moins de 5. Donc en effet, ce n’est pas zéro. Mais moi, entre les deux, je préfère le moins de 5 »
– Dr Anne Borgne, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
C’est pourquoi les plus grands spécialistes recommandent un renversement du principe de précaution. Parce que « l’on pourra toujours craindre quelque chose qui n’existe pas », comme le dit si bien le professeur Flahault. Mais, ce dont on est sûr, c’est qu’en plus de 15 ans d’existence, la vape n’a fait aucun mort. Contrairement au tabagisme.
Malheureusement, le sujet est plus complexe encore.
Car il reste cet amalgame qui nous colle encore à la peau aujourd’hui et met à mal l’image de la vape en France : on l’associe irrémédiablement à l’industrie du tabac, celle-là même qui a sciemment menti sur la dangerosité de ses cigarettes “light” dans les années 2000…
Le scandale des cigarettes “light”
Beaucoup de scientifiques et de médecins y ont cru avant que la supercherie ne soit révélée.
Les fameuses cigarettes “light”, aujourd’hui interdites partout en Europe, étaient vendues par les cigarettiers comme une solution moins nocive pour la santé. Dans ces cigarettes “légères”, les taux de nicotine étaient effectivement plus bas que la moyenne. Mais, en réalité, la fumée entrait plus profondément dans les poumons, causant bien plus de ravages encore.
Et là n’était pas encore le plus grave.
On apprenait alors que non seulement ces cigarettes “light” représentaient un réel danger pour la santé, mais que les fabricants de tabac en étaient pleinement conscients et qu’ils avaient tenté de couvrir leurs méfaits.
« Le coup de massue supplémentaire est que l’industrie du tabac était cynique, elle le savait, et on s’est rendu compte qu’elle avait caché des connaissances scientifiques, mais également perverti et corrompu des scientifiques pour essayer de vendre des contre-arguments là-dessus »
– Pr Antoine Flahault, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
Trompés une fois de trop, bon nombre de professionnels de santé ont alors définitivement coupé les ponts avec tout produit se rapprochant de près ou de loin à la cigarette. Refusant catégoriquement de penser la vape en dehors des manigances passées de Big Tobacco.
Difficile de ne pas le comprendre, en particulier lorsque l’on choisit d’entretenir au quotidien cette confusion, à travers la législation ou les discours de nos politiciens, pointe le directeur de l’association britannique United Kingdom Vaping Industry (UKVIA) : John Dunne.
« Nous n’aurions pas dû inclure la vape dans le même projet de loi que le tabac, car cela brouille les discussions en cours. Ce que je veux dire par là, c’est que certains politiciens peuvent être en faveur des restrictions sur le tabagisme, mais pas sur la vape. Mais leur demande-t-on de voter séparément ? Non »
– John Dunne, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
La loi du silence
Associée à l’image des fabricants de tabac, tout acteur du vapotage, aussi indépendant soit-il, n’a pas voix au chapitre.
Les seules associations autorisées à être citées en assemblée par les parlementaires sont celles faisant partie de l’Alliance Contre le Tabac (ACT). Et les seules sources dites “viables” proviennent de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Peu importe que la première ne soit composée d’aucune association militant pour la réduction des risques. Et que la seconde soit clairement partie prenante, du fait de certains de ses collaborateurs et financements, contre les produits de réduction des risques (2)…
« Pour le Ministère de la Santé, il y a un interlocuteur, c’est l’Alliance Contre le Tabac. Il considère que c’est l’association représentative de toutes les associations qui œuvrent contre le tabac. Mais dedans, il n’y a aucune association qui prône la réduction des risques ou qui va défendre la vape. Le problème c’est que, les autres, qui ne sont pas d’accord, on ne fait pas assez de bruit »
– Dr Anne Borgne, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
« Je me dis que nos politiques n’y connaissent rien. Ces gens qui ont le pouvoir ne savent pas ou se font conseiller par certains spécialistes choisis, spécifiques… et qui ont des idées bien arrêtées au départ. C’est tout le problème des experts et des liens d’intérêts »
– Dr Philippe Grunberg, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
Résultat : les idées reçues et la désinformation continuent de sévir, même dans les plus hautes sphères. Et les défenseurs du vapotage n’ont ni la tribune ni la reconnaissance nécessaire pour y mettre fin.
Sans interlocuteur pour contrebalancer les faits, beaucoup continuent ainsi de voir en l’abstinence et la prohibition les seules solutions viables pour lutter contre le tabagisme.
La tyrannie de l’idéal
On reproche notamment à la réduction des risques d’oublier un fait important : il n’existe pas de petit tabagisme. Même en fumant peu, on prend un risque pour sa santé. Aussi, le but visé ne peut être que l’abstinence totale, disent certains, seule garante du zéro risque.
« Ils vont chercher des arguments scientifiques et sans souplesse. Il y a tellement de paramètres qui rentrent en compte pour accompagner quelqu’un dans l’arrêt du tabac (plusieurs tentatives, plusieurs outils…) C’est tellement varié et complexe que les études n’arrivent pas à rendre cette complexité. Mais surtout, ils étudient des textes, pas des gens »
– Dr Anne Borgne, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
Remettre le fumeur au cœur des préoccupations, tel est le combat des défenseurs de la réduction des risques.
« C’est une méthode qui ne vise pas l’abstinence. C’est une méthode qui n’est pas moraliste ou moralisante. C’est une méthode qui est simplement pragmatique et qui préfère diminuer un risque plutôt que de le maintenir »
– Pr Antoine Flahault, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
« Le défi de la réduction des risques est de faire en sorte d’atteindre des niveaux de risque acceptables, cohérents avec la tolérance normale que nous avons pour le risque dans la société en général »
– Clive Bates, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
C’est d’ailleurs ce que l’on fait déjà avec les substituts nicotiniques, la méthadone ou plus simplement à travers l’adage “Boire ou conduire”, afin d’abaisser les risques à des niveaux acceptables. Mais surtout atteignables.
« Il vaut mieux promouvoir le vapotage que l’abstinence, car l’abstinence est très difficile à obtenir tandis que le vapotage est plus facile à obtenir. Il est plus efficace »
– Pr Antoine Flahault, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
Pour ces experts et professionnels de terrain, l’utopie est là : vouloir une société sans aucune drogue et aucune addiction. Car une telle société n’existe nulle part et la raison en est bien simple : l’humain est, par nature, hédoniste.
« Le cerveau est le principal producteur de drogues au monde. Le plaisir est fondamental, parce que l’on s’est sélectionné comme ça. Savoir que fumer est mauvais pour nous ne va pas suffire parce que notre cerveau privilégie toujours un petit soulagement immédiat à un grand risque futur »
– Pr William Lowenstein, dans Tais-toi et fume 3 – L’ennemi intime
Tais-toi et fume 3 : en résumé
En résumé, on l’a vu, le principe de précaution, motivé à l’origine par une prudence légitime, peut facilement devenir une posture qui limite concrètement le champ d’action du corps médical ou qui sert des intérêts politiques plutôt que de santé publique.
Appliqué à la vape en 2025, il exprime surtout la méconnaissance d’un produit qui diminue pourtant drastiquement les risques.
Aujourd’hui, les professionnels de santé s’accordent presque unanimement pour dire qu’en matière de lutte contre les addictions, à défaut d’une solution miracle, commencer par réduire les risques est la meilleure chose à faire.
Mais pour ce faire, il nous faut lutter contre un système pensé pour nous protéger, mais qui nous fait du mal. En commençant par tordre le cou aux idées reçues. Particulièrement celles concernant la nicotine, cette molécule jugée à tort comme étant cancérigène.
C’est d’elle dont les fumeurs sont dépendants. C’est encore d’elle dont ont besoin ceux qui veulent arrêter la cigarette à combustion. S’ils sont en manque de nicotine, les usagers vont la chercher là où elle se trouve. Y compris sur le marché noir.
La vraie bataille à mener est donc idéologique. Il nous faut éduquer, expliquer à ceux qui ne comprennent pas et qui pourtant décident en assemblée de l’avenir de notre santé. À ceux qui pensent que la réduction des risques n’est qu’une option. Ceux qui confondent vapeur et fumée.
Notes
(1) Voir également l’article de JeSuisVapoteur sur le principe de précaution
(2) Voir également l’article de JeSuisVapoteur en réponse aux attaques de l’OMS